Le Temps des Mots par Jean-Michel Pellenc

Le Temps des Mots par Jean-Michel Pellenc

Plaidoyer pour la nostalgie

« Arrête avec ta nostalgie !!! »

Non, je n’arrêterai pas avec ma nostalgie car pour moi la nostalgie est une émotion porteuse de sens. Comme toute émotion, elle recèle une puissante force motrice[1].

Je m’explique.

Tout d’abord, idéaliser le passé (y compris quand celui-ci fut malheureux) est un processus naturel, irrépressible, irrévocable de la mémoire. Il faut se construire et se réparer pour avancer. Alors on refoule les évènements traumatiques, on estompe les détails douloureux, on enjolive les anecdotes, on réinterprète le cours des choses, pour donner sens et contour à des trajectoires de vie souvent erratiques, parfois tragiquement absurdes. J’y vois le symptôme de notre besoin profond de sécurité et d’attachement. Si notre souffrance est dépourvue de sens, ET continuelle, pourquoi continuer ?

Bien sûr, répéter son passé en boucle, ce peut être hypnotisant, voire paralysant, et refouler c’est produire, entretenir, nourrir la névrose… mais justement.

Si ressentir de la nostalgie, c’était accepter l’émergence de la mémoire ? Accepter de voyager vers son passé, de revivre une partie de son histoire personnelle, de ces expériences qui sont constitutives de notre identité, pour revenir dans le présent, plus averti et mieux armé ?

Si ce sentiment qui nous étreint parfois le cœur était la prise de conscience que rien n'est permanent, que le temps passe quoique l'on fasse, que le monde change même quand on ne s'en aperçoit pas ?

« On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. » disait Héraclite.

Face au mouvement perpétuel du monde, à son éternelle impermanence, et pour répondre à l’injonction actuelle de « vivre au présent », comme si le passé et le futur n'existaient pas, je vous propose la nostalgie comme réhabilitation du temps en tant que continuum.

La nostalgie comme moteur pour agir avant la mort inéluctable, comme urgence à aimer, à s’ouvrir, à s'émerveiller, à se réjouir de la beauté éphémère et fragile !

La nostalgie comme remède à la vanité et à la volonté de toute-puissance. La nostalgie comme alternative à cette société amnésique qui prône l'oubli de soi dans l'exaltation de l'ego, qui oblitère la mémoire par l'angoisse du futur et l'immédiateté du plaisir, qui fait du temps une dimension fragmentée par nos pulsions.

Enfin, la nostalgie comme lien avec nos ancêtres, ces êtres d'un ancien temps qui, comme nous, ont connu la peur, l’échec, la barbarie, mais aussi la joie, l’amour, l’espoir... et qui nous ont permis d’arriver jusqu’ici !

 

Jean-Michel Pellenc, le 24 février 2015



[1] Émotion vient du latin motio qui a donné motion en ancien français et plus tard mouvement



25/02/2015
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